HAZY SHADE OF SPRING [Quelques kilomètres en-dessous de Birmingham, dans la fange et la boue]

En premier lieu, Carl tenta de faire le point. Tournant en rond sur sa petite route de campagne, sans rien de civilisé à l'horizon, il du admettre bien vite que retrouver Casey s'avérerait très difficile, à moins de tomber sur elle par hasard. Que faisait-elle, au même moment ? Qu'avait-elle fait de toute la nuit ? Elle devait certainement avoir peur, quoi que son père la savait dotée d'un moral en acier. Elle chercherait à le retrouver de son côté, et ils y parviendraient très rapidement, oui, c'était certain.
L'aube se levait et Carl en profita pour se mettre en route, dans la direction qu'il pensait être celle de Birmingham ; en vérité il n'avait jamais été doué avec les points cardinaux, et le fait que le soleil se lève toujours du même côté ne l'aidait pas le moins du monde. Quel côté était-ce, déjà . L'Est, le Nord ? Carl n'en avait aucune foutue idée.

Longeant la route où le salaud qui lui avait volé sa voiture l'avait abandonné, l'homme entendit bientôt le grondement caractéristique annonçant l'arrivée imminente d'un autre véhicule. Ni une ni deux, il sauta dans le buisson le plus proche pour observer sans être vu, et éviter si possible de se retrouver face à des personnes infectées. A sa grande surprise c'est une limousine immaculée qui s'approcha, une de ces voitures de 7 mètres de long réservées aux soirées d'anniversaire des gosses de riches comme on en voyait sur MTV. Plusieurs types en sortirent ainsi qu'une jeune femme qui avait l'air d'être amie-amie avec les riches d'MTV, car autant qu'il puisse en juger, c'était elle la propriétaire de la voiture quand les autres types n'étaient que ses domestiques. Alors il existait encore des gens comme ça sur Terre ? Consterné, Carl assista silencieusement à la révolte des domestiques qui jetèrent littéralement leur employeuse dans la boue, sur le bas-côté. Les cris stridents de la gonzesse durèrent jusqu'à ce que la limousine ait disparu tout au bout de la route, et Carl resta longtemps stupéfait, à se demander s'il devait prendre le risque de s'approcher ou non. Il les avait clairement entendu dire qu'ils la laissaient là parce qu'elle était insupportable, pas parce qu'elle était infectée... Mais après tout, peut-être l'étaient-ils aussi ?

Son instinct paternel et protecteur reprenant le dessus, l'homme ne put cependant se résoudre à s'en aller sans lui apporter son aide. Après tout, elle ne devait pas être beaucoup plus âgée que Casey, peut-être même avait-elle l'âge de Channon, son fils.

Sortant de son buisson en frottant brièvement son t-shirt pour se débarasser des feuilles qui s'y étaient accrochées, Carl Chatterton s'approcha de la flaque ou la gosse était toujours prostrée comme si l'effort à faire pour en sortir était hors de ses moyens.

« Vous voulez un coup de main ? » demanda-t-il donc en l'obervant rapidement, constatant avec soulagement qu'elle ne portait aucune marque sur la peau et donc que, si jamais elle était infectée, elle ne l'était pas à un stade qui soit directement dangereux pour sa propre subsistance.

Carl regarda le visage de la jeune femme prendre une teinte rouge inquiétante quand celle-ci commença à péter un plomb. Il ne s'attendait pas vraiment à une réponse pareille, plutôt à un merci ou même ne serait-ce qu'un petit signe de tête courtois ; au lieu de ça elle se mit à lui crier dessus comme s'il était lui-même responsable de ce qui venait de lui arriver. Sa patience ayant été exercée de nombreuses fois durant les vingt dernières années, Carl la laissa dire et n'écouta que d'une oreille ses histoires de boue et de vêtements tout en s'approchant pour lui attraper le poignet et la tirer hors de la mare dans un bruit de succion passablement crade. Splooootch.

Il la relâcha quand elle fut à peu près au sec et il eu l'impression qu'elle fit exprès de se dégager très très vite, comme si son contact était dangereux ou sale. Sale ? Elle pouvait se regarder... Enfin, elle avait bien du le remarquer, vu comment elle braillait. Les femmes avaient-elles donc toutes ce côté résolumment hystérique ?

Carl haussa un sourcil quand elle lui demanda une voiture, puis un avion (un avion ?!) comprenant qu'il devait réellement s'agir d'une petite fille à papa habituée à voir exaucés ces moindres désirs. Il avait le don pour accumuler les situations improbables et exécrables...

« Calmez-vous. » demanda-t-il finalement avant de lui tendre la main histoire de repartir sur de bonnes bases. « Je m'appelle Carl Chatterton. Je ne sais pas pour on vous a abandonnée... » Ce n'était pas tout à fait vrai. En fait, il le devinait même aisément. « … mais si vous voulez, on peut se rendre ensemble à Birmingham. Je suppose que ce n'est pas très loin d'ici, du moins je l'espère. Par contre, je n'ai plus de voiture. »

Carl cilla d'incompréhension aux paroles de l'« héritière ». Héritière... Ce qu'il ne fallait pas entendre. Qu'on soit le fils du balayeur du coin ou de la reine d'Angleterre, dans la conjecture actuelle, ça ne changeait rien du tout. Cette gamine allait devoir laisser tomber ses habitudes d'enfant gâtée si elle voulait survivre – et, à ce propos, Carl se dit qu'elle avait du rester enfermée dans son château doré pendant tout ce temps pour ne pas avoir été contaminée, ou tout du moins pour ne pas le croire quand il lui disait qu'il n'avait plus aucun moyen de transport. Il doutait sérieusement qu'ils en retrouveraient un avant d'atteindre Birmingham... Le Sud était moins touché, mais à ce qu'on disait, on ne trouvait plus une seule goutte d'essence au Nord. Evidement, ce n'était qu'une question de jours avant que l'ensemble du pays soit privé de bagnoles, mais il espérait qu'il aurait réussi à remettre la main sur ses enfants avant que cet instant arrive. Rentrer à pied jusqu'à chez lui s'avérait être un véritable calvaire...

Balayant l'air de sa main et tentant de chasser cela de ses pensées pour le moment, l'homme se tourna à nouveau vers Corina Chase – elle avait clairement insisté sur le Chase, mais rien à faire, cela n'évoquait absolument rien pour lui -, adressant à la jeune femme un sourire d'excuse. Pas de raisons de se montrer désagréable, elle devait certainement avoir subit un certain choc, elle aussi, en se retrouvant abandonnée là.

« Allons, courage. Il ne doit pas y avoir plus d'une vingtaine de kilomètres, dans le meilleur des cas. » annonça-t-il, pensant sincèrement qu'elle prendrait cela pour une bonne nouvelle. C'était bien mal la connaître certainement, mais il fallait le comprendre ; si jamais Casey s'était mise à faire des caprices de ce genre, il aurait eu tôt fait de lui montrer le vrai sens des réalités. Décidant de montrer l'exemple, il quitta le bas-côté et la marre de boue pour rejoindre la route, ou plutôt la ligne de bitume craquelé qui traversait la campagne du Midland.

Carl Chatterton regarda Corina Chase arracher sa sandale de la flaque de boue, et fondre en larmes parce qu'au lieu de faire ça en douceur elle venait de la flinguer complètement. Cette fille ne ressemblait absolument pas à Casey, et pourtant, elles ne devaient avoir un écart d'âge trop important ; Carl avait élevé Casey en faisant en sorte qu'elle ne se désespère jamais sur son propre sort, et qu'elle cherche toujours à s'en sortir quelque soit le moyen employé (sauf si celui-ci incluait le porte de décolletés plongeants et la prise de cocaïne.) Corina, elle, semblait fonctionner tout autrement et le père de famille devait bien avouer qu'il se sentait passablement dérouté face à son comportement. Evidemment, il pouvait lui trouver tout un tas d'excuses ; elle venait de se faire abandonner, de se retrouver perdue en pleine campagne, sûrement loin de chez elle et de ses proches, il était normal que ses nerfs craquent. Ca pouvait se comprendre. Carl était même prêt à reconnaître qu'il prenait énormément sur lui pour ne pas en faire autant, le sort de ses enfants lui pesant sur la consicence comme une réalité à laquelle il ne pouvait rien.

Prenant une profonde respiration, l'homme rebroussa chemin pour se rapprocher de Corina qui tremblotait toujours piteusement, et il la pris par le bras pour la ramener sur la route. Il n'avait pas de mouchoir à lui proposer, mais tant pis, elle devrait dealer avec ça pour le moment. Sans un mot, il la contreignit alors à avancer, ne la relâchant que lorsqu'il fut quasiment certain qu'elle continuerait toute seule à ses côtés. Il était trop humain pour l'abandonner, même si il était certain qu'il n'aurait pas hésité une seconde à baffer Casey si jamais elle commençait à s'habiller et à se comporter de la même façon.

« Ne vous en faites pas, on y sera sûrement avant ce soir. On vous trouvera d'autres chaussures là-bas, peut-être même de quoi manger, si on a de la chance. Et puis, ça va vous faire voir du paysage, j'imagine qu'à part les boutiques vous ne visitez pas grand-chose. » ajouta-t-il ensuite d'un ton amusé, refusant de voir le mauvais côté des choses pour le moment.

Carl resta attéré pendant quelques secondes, pensant que Corina blaguait. Ce qui aurait été étonnant vu le comportement de dinde affolée qu'elle avait depuis le départ. Il s'apperçu pourtant très vite que non, en fait, elle était très sérieuse. Cette fille devait vraiment avoir une existence des plus tristes, mais le meilleur c'est qu'elle semblait trop stupide pour s'en apercevoir. Enfin, delà à ce que son existence redevienne comme elle l'était avant... ça n'était pas près d'arriver. Peut-être que cette expérience pourrait faire d'elle une personne meilleure ?

Oui, même dans cette situation Carl savait rester aussi naïf que positif.

« Je ne comprends pas vraiment. » abdiqua l'homme en haussant les épaules. « L'apparence est loin d'être la chose la plus importante sur Terre... d'ailleurs, ce n'est pas votre apparence qui vous sauvera, maintenant. Il me semble qu'un tas de mascara et des chaussures ou des vêtements comme les vôtres ne pourront rien pour repousser les gens infectés. »

Il avait dit ça doucement, un peu effrayé à l'idée de la vexer et qu'elle se remette à hurler. Certes, ils étaient en apparence paumés en pleine campagne, mais qui sait ce qui pouvait se cacher derrière les buissons, après tout. Et puis, il avait envie de savoir si c'était simplement le choc qui lui avait faire dire tout ça, ou si elle avait un minimum de conscience.

Elle avait dévié sur le sujet qu'elle aimait le plus au monde après elle : les boutiques. Cela lui fit regagner de l'énergie, et elle marchait avec enthousiasme en plus de marcher avec élégance et distinction. Après tout Janice Dickinson avait dit : " La vie n'est qu'un immense podium, et dans n'importe quelle situation un photographe peut être caché . " Ainsi, craignant que des paparazzis soit embusqués dans les fourrés, l'héritière ne marchait pas, elle défilait. Ce qui , il fallait l'avouer, était assez compliqué sans chaussures.

« L'apparence est loin d'être la chose la plus importante sur Terre... d'ailleurs, ce n'est pas votre apparence qui vous sauvera, maintenant. Il me semble qu'un tas de mascara et des chaussures ou des vêtements comme les vôtres ne pourront rien pour repousser les gens infectés. »

En attendant le mot apparence , et croyant qu'il allait la complimenter, Corina tendit l'oreille . Cet homme était malade . Il fallait qu'elle l'éclaire, elle ne pouvait le laisser dans sa laide ignorance . Elle laissa éclater un petit rire, qui bien que faux, voulait sonner amical et franc .

« Quelle drôle d'idée ! Ce n'est pas tant l'apparence qui compte, c'est plus la personne. Enfin, c'est surtout moi . Par exemple, imaginez que je sois habillée en ... prêt à porter - elle fut secouer d'un frisson à cette idée - et bien vous me respecteriez quand même, et je resterais supérieure à toutes les personnes établies sur terre qui ne sont pas célèbres . Mais ça, ne peuvent se le permettre que les personnes les plus riches, les plus en vues, les plus aimées . Même si Paris Hilton portait un sac poubelle, elle resterait splendide ! C'est juste une autre corde à mon arc vous voyez ! Et ne prenez pas les infectés pour des sous-hommes ! En voyant une héritière habillée haute couture, cela m'étonnerait qu'ils s'en prennent à elle ! »

Elle ria, tellement l'idée qu'on l'attaque malgré son rang lui semblait absurde . Cet homme était un drôle de spécimen !