Perhaps you should be coming back.

Il était temps ; Mr Chatterton avait enfin pris sa décision : « Attrape un sac, Casey ! » avait-il hurlé à travers la maison. Dans une heure à peine, il serait sur les routes avec sa fille, direction le comté de Derby pour aller récupérer son fils cloitré à l'université. Channon... celui-là décidément, quel futé. « Une épidémie ? Quelle épidémie, papa ? Non, moi je reste ici, insiste pas. Encore ces foutus médias qui nous bombardent avec une supposée période de crise qui va s'essoufflée sans même qu'on s'en rende compte ! J'ai une année à finir. Ouais, c'est ça. Fais une bise à Casey pour moi ». Près de deux mois plus tard, les Chatterton n'avaient toujours pas de nouvelle du fils aîné, les lignes téléphoniques coupées n'y aidant pas.
Le bruit courrait que les choses avaient dégénéré à l'université de son frère. Casey était inquiète. Un peu. Comme à son habitude, elle ne le montrait pas vraiment ; il fallait dire que la jeune fille n'était pas particulièrement réactive, et que par nature son visage paraissait toujours anxieux. Alors quant à savoir à quel moment exactement elle laissait le stress ou la peur l'envahir, c'était coton. Hésitante, elle attrapa la besace qu'elle utilisait pour les cours, la retourna en répandant son contenu sur le sol, et commença à remplir le sac en y enfournant grossièrement ses affaires. Casey n'avait jamais vraiment été du type précautionneuse avant le Fléau... Le père et la fille n'avaient pas prévu de long voyage, juste l'aller et le retour pour ramener Channon à la maison. Une tenue de rechange suffirait surement ; une brosse à cheveux peut-être aussi. Un livre, pour passer le temps, et un canif – tout de même – parce qu'après tout, on ne savait jamais.

Par terre – entre les manuels scolaires et quelques cahiers qui n'avaient plus servi depuis un certain nombre de semaines – étaient éparpillées deux ou trois bricoles personnelles de Casey. C'était bien simple, la pauvre enfant n'avait jamais su ranger ses effets correctement ; et en se relevant pour sortir de sa chambre et rejoindre son père à l'étage inférieur, elle piétina une petite carte en plastique qu'elle fendit presque en deux sur le coup. Naturellement arrêtée dans son élan, l'adolescente se pencha pour ramasser l'objet. C'était une vieille carte de bibliothèque qu'elle pensait perdue depuis longtemps. L'établissement avait fermé voilà de ça quelques années, certainement par manque de budget. CHATTERTON CASEY – 0923206. Il y avait même une étiquette à son nom dessus... Décidément, c'était la grande classe. D'aussi loin qu'elle pouvait se rappeler, les parents de Casey étaient encore ensembles à l'époque où l'enfant s'était procuré la carte, il y avait une dizaine d'année. C'était dire à quel point, déjà petite, elle aimait la lecture. À six ans, on apprend à peine à lire... imaginons donc combien la gamine pouvait trouver cela gratifiant.
Casey avait toujours vécu dans cette petite ville près de Tavistock, même après que sa mère soit partie pour de plus vertes contrées en les laissant, elle et son frère, dans cette même maison qui les avait vu grandir. Si Casey n'avait pas vraiment souffert de la séparation, trop jeune pour ça, Channon, lui, l'avait comme qui dirait très mal pris. Il en voulait à son père. Il détestait Tavistock et ses bois. Peu étonnant, finalement, qu'il ai émigré à plus de trois cent bornes du Devon pour entreprendre des études.

« Casey, tu campes ?! »
Son père la ramena au moment présent et elle laissa la carte tomber sur le parquet. Elle ne pensa pas à mettre la main sur ses papiers d'identité, se disant inconsciemment que ceux de son père suffiraient en cas de problème. L'adolescente entendit la porte d'entrée claquer alors qu'elle atteignait les dernières marches de l'escalier. Peu de temps après, le moteur du vieux Range Rover de son paternel crachait quelques nuages de pollution dans l'allée du garage, et Casey devina que c'était à elle de fermer la maison à clef. Ses clefs, d'ailleurs, où pouvaient-elles bien être ? Pas dans le tiroir à couverts de la cuisine, pas non plus cachées sous la pile de magasines dans les toilettes. Après un énième tour de la maison où Casey percevait faiblement la voix de son père – par dessus le bruit tonitruant du Range Rover – qui s'énervait en se demandant ce qu'elle trafiquait, la jeune fille repéra enfin son trousseau, tout bêtement posé sur le sommet de la télévision. Il comptait trois clefs, accompagné d'une espèce d'anémone de mer en latex rose qui s'illuminait lorsque Casey la serrait dans son poing. Maison, cabanon de jardin, boîte aux lettres. Voilà tout ce dont l'adolescente avait besoin. Autour de l'anneau métallique qui gardait les trois clefs ensembles, Casey avait enroulé du scotch rouge de plomberie, pour passer le temps. Ce jour là, son père réparait la tuyauterie à la maison ; elle avait peut-être treize ans à ce moment. Elle s'ennuyait comme un rat mort mais adorait voir son père aux prises avec des pinces à étaux et des joints de robinetterie plus étanches. Elle avait alors attraper le rouleau de scotch, s'était assise dans un coin de la cuisine, et avait martyrisé son porte clef tout le temps que son père avait pris pour faire ses réparations.
Vaguement, Casey se demanda si ce genre d'instant insouciant pourrait se reproduire à l'avenir, avec le Fléau qui guettait, qui colonisait un peu plus d'infectés chaque jour. Dans la rue, les volets de tous les voisins étaient clos. À part la vieille folle en bout de ruelle qui se refusait à laisser ses chats mourir là sans elle, tout habitant de cette partie de la ville avait déserté les habitations. Mais Casey ne s'y attarda pas plus longtemps. Il fallait qu'elle retrouve son frère, qu'elle embarque avec son père. C'était bien la seule chose qui méritait son attention.

Dans la voiture, son père paraissait nerveux. Forcement, aucune station de radio ne fonctionnait ; mais le plus dur pour les nerfs restait les différents véhicules abandonnés sur la route, soigneusement rangés sur le bas-côté dans le plus rare des cas, encastrés les uns dans les autres ou arrêtés en travers de la chaussée pour le reste. Ce qui ne devait prendre qu'une matinée s'avéra finalement bien plus long, et au bout du deuxième jour, Casey et son père n'avait fait que les deux tiers du voyage, rebroussant souvent chemin et devant dévier de leur trajectoire initiale à bon nombre de reprises.
Aux alentours de Worcester, l'adolescente ne pouvait plus se retenir, il fallait qu'elle aille aux petits coins. Deux jours à ne sortir de la voiture sous aucun prétexte ; elle était sur le point exploser. En sortie de ville, le père de Casey arrêta le Range Rover pétaradant, laissa sa fille s'éloigner un peu pour trouver un endroit tranquille, et attendit qu'elle revienne en tapotant nerveusement sur son volant. La jeune fille avait emporté avec elle un jerrican, initialement rempli d'essence pour le tracteur de Mr Chatterton, mais dont le contenu avait été troqué contre de l'eau de javel, à rabord. Depuis que son père l'avait bassiné tout au long de la route avec l'extrême importance de désinfecter tout ce que Casey était sur le point de toucher, elle en faisait des sueurs froides rien qu'à l'idée de se déplacer sans son bidon.
Mr Chatterton était employé par la ville de Tavistock pour déblayer les arbres morts dans le parc national de Dartmoor, ou ceux à abattre dans les forêts de la région. Le tracteur dont il se servait pour ses missions avait toujours fasciné Casey. Peut-être tout simplement parce que c'était son père qui le conduisait, en un sens. Mr Chatterton était un peu son héros après tout. Complexe d'Oedipe et tout et tout. Si Casey avait possédé la moindre idée d'avenir professionnel, surement n'aurait-elle jamais pensé à suivre les traces de son père ; celles qui prenaient la forme de grosses marques de pneu, de chaînes et de troncs cassés. « Ce n'est pas un métier pour une fille, Casey ! » C'était pourtant le seul qu'elle avait envisagé. Si son père l'exécutait, c'est que ce devait être le meilleur des métiers.
Des bruits de lutte et de voiture qui démarre précipitamment coupèrent l'adolescente en pleine pause pipi. Saisie par la peur – ne le cachons pas – Casey se rhabilla maladroitement et courra au coin de la rue où elle avait vu son père pour la dernière fois. Le Range Rover n'était plus là. Mr Chatterton non plus. Quelqu'un avait du être blessé, car de drôles de taches brunes ponctuait le bitume à l'endroit où la voiture était supposée être garée.
Casey réalisa lentement qu'elle avait des problèmes, et pas des moindres. Son père n'avait pas pu l'abandonner comme ça, c'était impossible, elle se refusait d'y penser ; il lui était donc forcement arrivé quelque chose. Était-il ne serait-ce que toujours en vie ? Elle chercha l'homme pendant ce qui lui parut être des heures, espérant qu'il se soit réfugié dans une maison abandonnée, puis finit par se rendre à l'évidence. Tout ce qu'il lui restait consistait en une poignée de chiffons, un beau bidon de javel, et sa besace mal remplie. Des inconnus avait volé le 4x4, et son père avec très certainement. Elle n'avait aucune carte, pas d'argent, pas de provision... Et pas d'instinct de survie non plus, accessoirement.
Rentrer à la maison, ou continuer sa route pour retrouver son frère, comme le voulait le plan ? Avec un peu de chance, son père y serait peut-être également.
La meilleur des solution demeurait manifestement la moins rassurante... car le plus près de sa position restait Derby, à plus de quatre-vingt kilomètres d'ici.